Committees with implicit biases promote fewer women when they do not believe gender bias exists

[Regner2019] Committees with implicit biases promote fewer women when they do not believe gender bias exists, Isabelle Régner, Catherine Thinus-Blanc, Agnès Netter, Toni Schmader et Pascal Huguet. Nature Human Behaviour, 2019.


[Le texte ci-dessous est largement repris de la présentation de Pascal Huguet]


Cette enquête de grande échelle a été réalisée sur 2 ans sur l'ensemble des jurys du CoNRS pour les promotions au grade de Direct·eur·rice de Recherche (DR), comptant 414 membres.
C'est une des premières enquêtes de ce genre, examinant des recrutements réels (et pas fictifs sans enjeu comme dans [Moss-Racusin2012] dans la recherche publique et à l'échelle nationale.
La représentation des femmes dans le corps DR est très faible dans toutes les disciplines du CNRS : la parité n'est atteinte que dans une seule section, et seules 13 sections sur 40 dépassent la barre des 30% :

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Proportion de femmes « chercheuses »

Pris de [Régner2019].


2 ensembles de mesures ont été collectés sur les jurys à priori, pour être ensuite corrélées avec leurs décisions de classement :

 

1. Mesures explicites :

Questionnaires demandant d'estimer les causes de la sous-représentation des femmes au plus haut niveau de la hiérarchie des postes de chercheur, ainsi que la probabilité de réussite dans chaque discipline.
Cependant avec les questionnaires, les réponses fournies sont généralement régulées par une norme de désirabilité sociale, les réponses données étant souvent socialement acceptables et pas nécessairement fiables (les individus peuvent aisément cacher le fond de leur pensée, consciemment mais souvent inconsciemment).

 

2. Mesures implicites :

Les mesures implicites testent des automatismes cognitifs, donc difficiles à contrôler et réprimer, même quand ils ne sont pas socialement acceptables - les réponses sont donc moins biaisées.
Un test d'association implicite (IAT) est une tâche de classement de mots présentés au centre de l'écran dans des catégories sémantiques évidentes situées à droite ou à gauche de l'écran le plus vite et avec aussi peu d'erreur que possible. Le placement des catégories sémantiques des deux côtés peuvent être compatibles (les catégories "hommes" et "sciences" du côté opposé aux catégories "femmes" et "lettres") ou incompatibles avec le stéréotype de genre en sciences ("femmes" du côté de "sciences" et "hommes" du côté de "lettres").  Dans la population générale, les individus testés sont très rapides sur les essais compatibles avec le stéréotype, et fortement ralentis sur les essais incompatibles avec le stéréotype.


Score IAT = (tps rép pour assoc incomp avec stéréotype - tps rép pour assoc comp avec stéréotype) / écart type des temps de rép


Un score positif statistiquement significatif révèle un « retard à l'allumage » pour associer « femmes » avec « sciences » par rapport à « hommes » avec « sciences ». Il traduit que le stéréotype est bien installé dans les réseaux de la mémoire sémantique, mémoire par laquelle l'individu stocke ses connaissances générales sur le monde et ses concepts abstraits. Même si certaines personnes devinent ce qu'on mesure, elles ne parviennent pas pour autant à accélerer, et se heurtent à la réalité de leurs réseaux semantiques dans lesquels les connexions entre « hommes » et « sciences » sont bien plus fortes qu'entre « femmes » et « sciences ». Or, c'est la force des connexions entre concepts en mémoire sémantique qui détermine en grande partie la vitesse de réponse au test. Ces tests sont donc très fiables pour tester ce qui est appelé le niveau de stéréotypie implicite.


Soulignons que les IAT existent pour nombres types de biais et peuvent être passés sur implicit.harvard.edu.


- Résultats des mesures implicites sur les jurys du CoNRS :
Tous les jurys montrent des taux de stéréotypie implicite équivalents à ceux de la population générale :

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Taux de stéréotypie implicite

Pris de [Régner2019].


La question est donc de savoir si cette stéréotypie implicite impacte les décisions de classement, et si oui dans quelles conditions.
À noter : le niveau de stéréotypie est plus fort chez les hommes que chez les femmes, mais il est statistiquement significatif pour tous les groupes de sexe et tous les jurys.
Ceci est important : on imagine souvent que la parité dans les jurys assure une meilleur équité des décisions. Les femmes montrent aussi de la stéréotypie implicite, et l'analyse des décisions ne montre pas de différence, comme dans [Moss-Racusin2012] discuté plus haut.


- Résultats des mesures explicites sur les jurys du CoNRS :


Les questionnaires ne révèlent pas de jugement explicite défavorable aux femmes s'agissant de leur probabilité de succès dans les différentes disciplines scientifiques.
Cependant la moitié des jurys résistent à l'idée que la sous-représentation des femmes dans le corps des DR puisse traduire une discrimination (alors que tous les jurys montrent des taux significatifs de stéréotypie implicite).


La question est alors : Quelles relations statistique existe t-il entre la stéréotypie implicite, les réponses explicites, et la proportion de femmes classées admissibles DR ?


Résultats sur les décisions de classement :
Une analyse statistique détaillée (contrôlant de nombreux paramètres, dont la proportion de candidates dans les sections) montre que :

  • La composition sexuée des jurys n'a aucun effet sur les décisions.
  • Plus les jurys montrent un niveau élevé de stéréoptypie implicite, ET trivialisent ou doutent de l'idée d'une discrimination des femmes au moment des concours, moins ils promeuvent de femmes.
  • Les jurys qui, tout en montrant un score de stéréotypie implicite élevée, reconnaissent l'existence d'obstacles externes à la réussite des femmes, ne prennent pas de décisions biaisées.

Mentionnons également que la 1ère année, aucun biais décisionnel associé à la stéréotypie implicite n'a été détecté, quand les membres de jury se savent potentiellement observés. La 2ème année, quand les membres pensent l'étude terminée, les biais apparaissent.
 

De la nécessité du GT Égalité I3S


Les conditions exactes dans lesquelles la stéréotypie implicite se traduit en biais décisionnels discriminant les femmes ont donc été identifiées (pour les jurys DR du CoNRS).
Cette étude montre qu'il est possible de corriger cette discrimination si les jurys prennent conscience de l'impact de la stéréotypie implicite et prennent connaissance des résultats montrant cette discrimination effective.
À la suite de cette étude, Isabelle Régner, professeure en psychologie expérimentale et neurosciences sociales et Vice-Présidente Égalité Femmes Hommes et Lutte contre les Discriminations pour Aix-Marseille Université, a mis en place une sensibilisation au biais de recrutement pour les comités de sélection d'enseignant·es-chercheu·se·rs, étendue en 2021 à l'ensemble des comités de AMU. Université Côte d'Azur, à travers notamment notre VP Véronique Van De Bor, travaille activement à une la mise en place de telles actions.
Le GT Égalité I3S s'attache donc à surveiller les résultats scientifiques obtenus dans les champs de la cognition sociale et psychologie expérimentale notamment, et à adosser ses propositions d'actions à des résultats scientifiques montrant l'efficacité de certains types d'interventions. En commençant par faire connaître ces travaux et les suivants dans ces pages. Vous pouvez tous les retrouver ici, et des ressources recommandées pour les comités de sélection sont disponibles ici.

 

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